Blog de Postskript

Apparitions et disparitions dans Taras Boulba

Posté le 2 décembre 2008 dans la catégorie littérature par Céline Servais-Picord

J’avance pas à pas dans la lecture de Taras Boulba de Gogol tout en cherchant les caractéristiques du style de l’auteur. Ce qui m’a frappée au début du roman, c’est le nombre important d’apparitions et de disparitions de personnages qui sont voués à réapparaître ou à disparaître pour de bon.

Certains personnages apparaissent dans des digressions du narrateur pour faire “couleur locale”, comme ces vieillards qui chantent les hauts faits des Cosaques des siècles passés. Des jeunes filles apparaissent dans l’embrasure d’une fenêtre ou dans le souvenir des jeunes fils de Taras Boulba, à la vue de la maison de leur enfance. Dans la steppe, surgit au loin un Tatar que l’on ne prend même pas la peine de suivre, car son cheval est bien trop rapide. Dans la nuit s’allument et s’éteignent des vers luisants, alors que des oies, volant au-dessus d’un feu, offrent le spectacle, l’espace d’un instant, de leur ventre rougeoyant avant de disparaître dans la nuit.

C’est sans doute une des caractéristiques de l’imagination de l’auteur, que l’on retrouve aussi dans les Âmes mortes et dans ses nouvelles. Sous l’apparente légèreté du texte se cache l’angoisse de la disparition.

La poésie des parenthèses

Posté le 27 mai 2008 dans la catégorie littérature par Postskript

Céder au plaisir de raconter, quand on écrit une nouvelle ou un roman, c’est inventer et développer des histoires qui s’enchâssent, se télescopent… Dans son essai Henri Matisse, roman, Aragon fait l’éloge de l’écriture discontinue, des parenthèses qui éclatent l’histoire et ouvrent sur une infinité de possibles. L’art de la digression consiste à laisser libre cours à l’imagination créatrice: c’est un excellent moyen d’exercer son style.

Au fond, la parenthèse est une invention de l’homme, laquelle est de la sorte même des romans, à y regarder de près. [...] Par exemple, Don Quichotte n’est en réalité en tant que roman rien, si ce n’est l’histoire de l’ingénieux Hidalgo et de Dulcinée du Toboso, tout le reste n’étant que parenthèses, labyrinthe de parenthèses, où des miroirs habilement placés font soudain apercevoir, fugitive, l’image de Dulcinée, ou la Triste Figure du Chevalier, on croit y être, et puis voilà qu’une histoire, sans rapport avec les amours dites, nous entraîne parenthétiquement dans un théâtre inattendu.

[... Dans les adaptations au cinéma] le roman, allégé de tout ce qui n’est pas «nécessaire» à l’histoire principale, devient une pierre lourde, et roule dans le puits. La parenthèse en est ce que l’on appelle aussi bien la poésie. Le merveilleux inutile.

Aragon, Henri Matisse, roman