« J’entreprends de décrire aussi minutieusement que possible quelques-uns de mes rêves de chaque nuit, ceux, bien entendu, qui m’en paraissent dignes par leur allure arrêtée ou par leur évolution dans une atmosphère quelque peu respirable à des gens réveillés. »(Paul Verlaine)
Pour lire ces rêves retranscris par Verlaine, ainsi que des centaines d’autres issus de la littérature ou transmis par des rêveurs anonymes, on peut se rendre sur le site canadien « Récits de rêves ». La collection de rêves est très riche et variée, et chaque extrait littéraire est accompagné de notes et d’une mise en contexte. Ces indications de contexte sont ce que la base de données a de plus précieux. Elles permettent de poser la question du statut du rêve dans le texte littéraire. Un récit de rêve a-t-il la même fonction dans un journal intime, dans la poésie, ou dans une fiction ? Dans un roman, par exemple, le rêve n’est jamais gratuit et permet d’éclairer les événements de façon symbolique, ou d’anticiper sur leur suite.
Ce qui est vécu en songe par le dormeur est toujours d’une autre nature qu’un récit littéraire : dès qu’on raconte un rêve, on soumet le rêve à un travail d’élaboration qui transforme des impressions diffuses en une narration plus ou moins cohérente. Michel Leiris, écrivain qui a laissé de nombreux récits de rêves, écrivait dans son journal : « Les rêves dont on ne parvient pas à se souvenir sont comme des objets dont on ne connaîtrait que les angles, sous la forme la plus abstraite. […] Et souvent, lorsque, croyant nous souvenir tout à fait, nous donnons un corps à l’un de ces angles, c’est une recréation complète de notre rêve que nous effectuons. »
On ne peut pas écrire ce qui s’est vraiment passé pendant le sommeil ; on peut créer par les mots des univers proches de celui qu’on a entraperçu en songe et qui est irrémédiablement perdu. Ainsi l’exploration du rêve par l’écriture constitue-t-elle pour certains un véritable exercice de création littéraire.
Depuis Freud et l’invention de la psychanalyse, le regard porté sur le rêve a radicalement changé. Cela se ressent dans les récits de rêves que l’on peut lire sur la base de données. Jusqu’au XIXe siècle, les écrivains racontent plutôt leurs rêve au passé, et cherchent à en faire de belles histoires, à bâtir des édifices ordonnés et harmonieux. À partir du XXe siècle, les rêves sont davantage racontés au présent, comme dans L’Interprétation des rêves de Freud, selon l’idée que l’inconscient ignore le temps. Les récits de rêves respectent mieux le caractère décousu du souvenir. Les écrivains acceptent désormais l’apparente absurdité et la discontinuité de l’expérience du rêve : ils utilisent des phrases simples, centrées sur des actes ou des lieux, avec un point de vue neutre, presque extérieur.
Quel que soit le parti pris esthétique adopté, écrire ses rêves permet d’en apprendre beaucoup sur soi, sans doute, mais aussi sur les pouvoirs du langage et sur l’art du récit.